Fabian Boschung - Never confuse shit for cioccolato 

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Photographies : Sébastien Verdon

 

Une première remarque, évidente, vient à l’endroit du travail de Fabian Boschung lorsque l’on pose les yeux dessus : celui-ci s’inscrit dans un registre anatopique – et cela constitue d’ailleurs le principal ressort de l’humeur (on pourrait parler d’humour, mais laissons à chacun·e la possibilité de se positionner par rapport à cette idée) particulière qui s’en dégage.

Bon, je dois l’admettre, il y a des évidences qui s’énoncent avec moins d’évidence que les autres. Et s’en référer, à brûle pourpoint oserais-je dire, au caractère anatopiste de ce travail n’est sans doute pas le meilleur moyen pour emporter immédiatement l’adhésion critique des lecteur·ice·s. En utilisant l’italique, vous en conviendrez cependant, j’indique distinctement que le concept nécessite une attention particulière.

Anatopique. Le mot n’est pas dans le dictionnaire et sur Google, les rares occurrences sont plutôt curieuses. C’est, en effet, un néologisme : une invention que je dois personnellement à l’admirable cerveau de Vinciane Despret[1] (rien ne dit cependant qu’elle en est la créatrice, ou qu’elle fut la première à l’utiliser). Sous ce concept d’anatopisme, se dissimule une étymologie grecque en deux parties : ana signifiant littéralement « en arrière » et topos, « le lieu ». Autrement dit, un anatopisme désigne ce qui n’est pas exactement à la place qu’on lui a initialement prévu. Exemple à la lumière de l’œuvre de Fabian Boschung : une enseigne de police dans la vitrine d’un espace d’exposition : anatopisme ; un cachet de viagra dans la gueule ouverte d’un vélociraptor : anatopisme (qui plus est, ici, doublée d’un anachronisme tout aussi évident).

L’avantage de l’anatopisme, comme de l’anachronisme à vrai dire (en tout cas, lorsque l’effet est employé de manière volontaire, sinon c’est plus ennuyeux), c’est sa puissance de dérèglement. Pas étonnant, dès lors, que la science-fiction en ait fait un axe narratif à ce point commun : quelque chose, ou quelqu’un·e, apparaît hors de sa place, ou de son temps, et c’est tout un imaginaire qui se libère.

Ça fait quoi, dès lors, d’assister à la rencontre (pas tout à fait fortuite[2]) d’une petite pilule bleue sur la langue d’un dinosaure présenté comme un trophée de chasse ? Déjà, ça peut faire sourire – ça serait un bon début. Et puis, ça peut permettre une certaine projection : « ça ferait quoi, en fait, si le dino, vraiment, il l’avait gobé le cachet ? » Là, on est sur un fil – tâchons de ne pas basculer. Revenons à des problématiques plus convenables – ceci est un texte d’exposition. Dernière piste donc : ça décale ; ça détourne. Le déplacement donne à voir les choses différemment : Covid oblige, comment ne pas marquer un temps d’arrêt sur cette marque, Pfizer, qui avant de vouloir massivement se faire une place dans nos cellules, servait les masculinités en berne[3] ?

Et une enseigne de police hors de sa base alors, ça fait quoi ? Est-ce que ça trompe vraiment les gens ? Est-ce que ça perturbe les agents inquiets de la confusion à laquelle le peuple pourrait, interdit, être confronté ? Si quelque chose est en berne ici, c’est plutôt une certaine idée de l’autorité – car autant que je sache, parmi toutes les missions sociales qu’assurent les lieux d’art, il reste encore rare qu’on se tourne vers ceux-ci pour faire retrouver son smartphone.

Il nous avait bien prévenu, Fabian Boschung, et cela dès le titre même : veillez à ne pas prendre une chose pour une autre – on n’est jamais à l’abri de devenir anatopique soi-même.

Franck Balland

 


[1] Vinciane Despret est belge. Je me suis demandé en écrivant ce texte si Fabian Boschung avait le sens de l’humour belge ou si, plus largement, le sens de l’humour suisse avait quelque chose à voir, pour moi français, avec le sens de l’humour belge. (Nous manquons parfois de nuance.)

[2] Vous l’avez ? ;)

[3] Notons au passage que la crise sanitaire aura servi un autre accroissement : celui des capitaux de l’entreprise pharmaceutiques.